Lorsque j’étais encore un petit garçon j’entendais souvent que les robots « allaient nous prendre notre travail et nous mettre tous au chômage ». Apparemment la presse de l’époque reprenait volontiers cette antienne inquiétante qui faisait flipper mes parents. Adolescent, je dévorais les bouquins de science-fiction et notamment les livres d’Isaac Asimov sur les robots. Ces derniers m’apparaissaient tout sauf menaçants, bien au contraire j’en concluais souvent qu’ils avaient plus de bon sens que les êtres humains. Allaient-ils nous supplanter vraiment ? C’était toujours la question que se posait ma famille. Cette question restait un vrai « marronnier » des magazines des années 2050. Pour ma part, je ne m’inquiétais pas trop, j’avais potassé les trois lois de la robotique inventé par Asimov et surtout je n’avais pas manqué de noter que de plus en plus d’auteurs mais aussi – j’insiste – de concepteurs de robots introduisaient dans leur intelligence artificielle cette injonction morale comme quoi ils ne devaient en aucun cas faire du mal ou du tort à un être humain. Aussi, dans ma jeunesse, et chaque fois que j’en avais l’occasion, je faisais observer que si les robots devaient nous prendre notre travail « ils se mettraient en grève, car ils ne pouvaient pas nous faire du mal ». Inutile de dire que, selon les cas, cette observation amusait ou agaçait mes interlocuteurs. Ce qui ne manquait pas de me vexer. Voilà pourquoi chers amis, devenu étudiant, je me suis consacré longuement aux problèmes spécifiques que nous poseraient la généralisation de la robotique et ses conséquences économiques et sociales. Les études et les romans sur le sujet ne manquent pas, bien au contraire, le problème c’est qu’ils, ou elles, sont si souvent contradictoires qu’il est bien difficile de faire le tri entre les bons et les mauvais arguments. Alors permettez-moi, avant d’aller plus loin, de vous dire pourquoi je suis rassuré et devenu tout à fait serein quant à l’augmentation de l’usage des robots dans notre vie professionnelle et familiale.
C’est en parcourant un vieil ouvrage des années 1950, que j’ai compris pourquoi nous ne posions pas correctement le problème. Que disait ce livre ? « Que notre connaissance croissait de façon continue depuis la nuit des temps. On pouvait comparer cela à une bulle qui enfle à chaque seconde tel un univers en expansion. Et qu’à chacune de ces secondes les parois de cette bulle, toujours plus grosse, rencontrait un univers d’ignorance, d’inconnus, de problèmes à résoudre de connaissances à acquérir, de travail à exécuter, d’études à mener, de découvertes à faire et que plus elle grandirait, plus de travail encore nous aurions ». Voilà ce que me disait ce livre dont j’ai oublié l’auteur. Et voilà pourquoi je crois que la robotique aussi sophistiquée soit-elle, nous laissera toujours des univers à conquérir et que nous ne manquerons pas de boulot pour ce faire. L’arrivée des équipements ménagers dans les familles a plutôt rendu service aux femmes puis aux handicapés, maintenant aux travailleurs de force et aux sauveteurs en milieux hostiles. N’est-ce pas ? Les robots s’installent partout où ils peuvent être utiles en préservant les hommes de la fatigue et des dangers et en nous laissant des milliards de problèmes et de tâches à résoudre comme de reverdir des déserts. L’aurions-nous pu sans eux !? Non ! Nous avons donc un sacré travail devant nous.
Mais je n’ai pas fini. Cette version positive de mon regard sur la robotique n’enlève rien aux difficultés actuelles rencontrées par des millions d’hommes et de femmes sur le marché du travail. Ne l’oubliez pas, elles existaient avant même le développement de la robotique. C’est vrai que celle-ci pose le problème de la substitution du travail (l’homme) par le capital (la machine). Ce n’est pas nouveau. Comment adapter le droit social au phénomène de « dumping » du à la substitution de l’homme par des machines ? Comme l’a démontré une étude sur la distribution de la valeur dans l’entreprise, celles des firmes ayant le plus fort taux d’automation ont les meilleurs rendements financiers. Tout bon pour les actionnaires. Pas bon pour les chômeurs. Comme le réclamait déjà les japonais au siècle dernier – oui, il y a presque plus de 60 ans – les robots devront contribuer au financement de la couverture sociale et à la formation professionnelle nécessaire pour faire face aux besoins de nos sociétés. Ne nous y trompons pas, quel que soient vos propres conclusions, vos propres convictions, les développements de la robotique associée à l’IA sont inéluctables, et notre priorité est de nous battre pour en empêcher les utilisations létales.
N’oubliez pas cette fameuse formule de Lavoisier «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme». Notre problème ne devrait pas être celui de la peur des robots, notre problème devrait être de ne pas pouvoir nous adapter et nous transformer nous-même. Oui, nous sommes le maillon faible de la robotique, mais c’était vrai des forces de la nature que nous avons su surmonter, maîtriser ou dont nous avons su nous protéger, au cours des siècles passés. Aujourd’hui encore nous devons, et nous en sommes capables, nous adapter, nous réinventer et réinventer nos métiers en permanence, paradoxalement, croyez-moi, c’est là qu’est notre force !
Discours d’entrée à l’école de robotique de Nankin par le docteur Ettighoffer
Pour en savoir plus http://www.lenouveleconomiste.fr/le-crepuscule-annonce-du-travail-humain-25912/
http://www.scoop.it/t/robotique-by-jean-pierre-blanger
http://www.books.fr/le-crepuscule-annonce-du-travail-humain/