Huntsville, Texas, 22 novembre 2063, 21h45.
Devant le triste bâtiment en briques rouges de l’unité pénitentiaire de Huntsville il a fallu attendre jusqu’à 19 heures, dans la douceur de ce début de soirée, avant d’avoir la confirmation que la mort de l’Afro-Américain Daniel T. Paterson était intervenue vers 18h15, à peine sept minutes après l’injection du cocktail létal. Pour un journaliste européen, par nature peu expérimenté sur les pratiques américaines concernant la peine capitale, ce sont les projecteurs des caméras de télévision éclairant soudain les visages des correspondants des grandes chaines qui l’ont alerté. L’annonce officielle faite par un agent du pénitencier avait été si discrète qu’elle nous avait échappé.
Daniel T. Paterson, 37 ans au moment de son procès en 2054, avait été jugé coupable à l’unanimité du jury d’avoir tué un policier alors qu’il tentait d’éviter son incarcération dans l’Unité Pénitentiaire Allan B. Polunsky. C’est lors de son transfert depuis le tribunal de Houston, Texas, où il venait d’être condamné à la prison à vie pour le meurtre de deux personnes dans un centre commercial de la ville qu’il avait récidivé en tentant d’utiliser un des gardes de sécurité comme bouclier humain. Paterson avait étranglé le policier qui cherchait à se dégager.
Malgré les interventions systématiques de nombreuses ONG et notamment celles de la Texas Coalition to Abolish the Death Penalty, George Y. Bush Jr-Jr, gouverneur républicain du Texas et petit-fils du défunt George W. Bush, un des présidents des Etats-Unis du début du siècle, ne souhaita pas gracier le condamné comme la constitution de son Etat le lui aurait permis. George Y. Bush Jr-Jr, 47 ans, était en effet confronté à un dilemme : soit il cherchait à se faire réélire au poste de gouverneur du Texas, soit il se lançait dans la course à l’élection présidentielle. Dans le premier cas, il devait se montrer ferme car les électeurs texans sont restés jusqu’à ce jour majoritairement attachés à la peine capitale. Dans le second, il devait reconnaître que l’opinion publique américaine a beaucoup évolué depuis cinquante ans puisque le Texas est le dernier Etat des Etats-Unis à conserver la peine capitale.
N’ayant pas encore tranché entre Austin, Texas, et Washington D.C., George Y. Bush Jr-Jr, en bon politicien, se résolut à couper la poire en deux. Ainsi, il commença par défendre la nécessité de suspendre – et non pas d’abolir – la peine capitale devant le Congrès du Texas pour que son Etat ne soit plus la risée du monde entier. Même la Chine, avait-il expliqué aux élus texans, n’exécute plus ses condamnés à mort depuis quinze ans. Accord lui fut donné après des débats houleux mais avec mise en application à compter du 1er janvier 2064 seulement. Pas de chance, en ce 22 novembre, pour ce malheureux Daniel T. Paterson, mais un signal de fermeté adressé aux Texans par le gouverneur puisque la grâce n’avait pas été accordée.
L’étape suivante consista à élaborer la position du futur candidat à l’élection présidentielle, ou tout au moins celle qui lui attirerait le plus d’électeurs, quant à l’abolition définitive de la peine capitale aux Etats Unis. Pour sa plateforme électorale, il réunit un panel d’experts, américains mais aussi européens et asiatiques, qui lui fournirent la liste des avantages et des inconvénients de cette abolition. Convaincu qu’il devrait clairement prôner l’abolition – et non pas la suspension – de la peine capitale pour avoir une chance d’être élu, il lui fallait encore obtenir de modifier la loi pénale au Texas avant de se lancer dans la bataille des primaires.
Voilà pourquoi George Y. Bush Jr-Jr prononça d’une voix délibérément grave ce soir, à 20 heures sur Fox News, un discours de raison. Nous retiendrons essentiellement l’argument du coût des exécutions capitales pour le contribuable. Ce sont en effet plusieurs millions de dollars qui sont dépensés en recours, contre expertises, procédures d’appel, instructions et jugements en commutations de peine, etc., sans parler des honoraires d’avocat, pour donner suite aux revendications inévitables des détenus dans le death row des unités pénitentiaires (Allan B. Polunsky, pour les hommes, et Mountain View, pour les femmes). Les premières réactions obtenues par sondage immédiat montrent que l’argument des économies attendues sur les frais judiciaires à la charge du Department of Justice devrait vraisemblablement faire pencher la balance en faveur de l’abolition au Texas. Et, par conséquent, aux Etats Unis.
© Yann Teissier du Cros – Envoyé spécial de Futur Hebdo