L’année prochaine sera l’occasion de célébrer le centenaire de la publication du livre « Pour comprendre les médias : les prolongements technologiques de l’homme » du canadien Marshall McLuhan. Cette année, 2064, sera aussi l’occasion de se pencher sur les médias de notre siècle, ces outils, ces extensions de nos sens qui, selon l’approche mac-luhanienne, nous permettent d’influer sur notre environnement.
Aujourd’hui, si nos jeux sont immersifs, si nos distractions sont « totales », si nos informations sont calibrées et si nos recherches sont assistées… Où se placent nos médias contemporains dans l’échelle de McLuhan ?
Le philosophe canadien et théoricien des médias du milieu du vingtième siècle a proposer une échelle de classification des médias selon que l’information transmise soit de bonne ou de mauvaise qualité, selon que la transmission de l’information fasse appel à un ou plusieurs sens, selon que l’effort cognitif nécessaire à l’intégration de l’information portée par le médium soit faible ou intense. De chaud à froid, il classait ainsi la presse, la radio, le cinéma… Jusqu’à la télévision, le téléphone…
Qu’en est-il, aujourd’hui, quand toute information est diffusée avec une qualité – chère à McLuhan – et une définition inimaginable cent ans auparavent ? Si l’adage devenu populaire semble rester pertinent – le message, c’est le médium – l’échelle de McLuhan ne serait-elle pas tombée en désuétude ?
Il a souvent été reproché aux thèses du canadien et de ses successeurs de ne pas être scientifiques. Rien de plus que des constructions spéculatives. Ces thèses n’en ont pas moins permis à nombre de nos semblables de comprendre le fonctionnement des médias et de leur influence sur le sens même du message. Il n’est peut être pas inutile de rappeler ici l’habituel comparaison : La simple parole n’a pas la même diffusion, le même impact social que la parole + l’imprimé qui la fixe + la roue qui la transporte… Donc les médias (imprimé et roue) influencent le message, l’information… CQFD.
Si finalement l’échelle de McLuhan n’a de pertinence que la vulgarisation, que faut-il lui ajouter pour lui garder cette pertinence somme toute respectable ?
Afin de tenter de répondre à cette question, on peut peut-être identifier diverses situations devenues contemporaines que le sociologue canadien du vingtième siècle ne pouvait pas anticiper. Tout d’abord, il y a la distance, aussi psychologique que réelle, entre le média – qui est le message – et le sujet, le spectateur qui reçoit, à qui est destinée l’information. Si, à l’évidence, la qualité des moyens de transmission de l’information n’a cessé d’augmenter au cours des précédentes décennies, l’individu a reçu cette même information dans des environnements de plus en plus intimes : la salle de cinéma communautaire de nos grands-parents, par exemple, a subit une forte concurrence des « home cinéma », puis vinrent les lunettes de projection vidéo… Pour finir, nous nous faisons implanter, aujourd’hui, des projecteurs cochléaires qui affichent l’image directement sur notre rétine. Demain, on nous annonce un « branchement » direct sur le nerf optique… Or, ce qui, vient d’être décrit est bien la diminution, et bientôt l’annulation, de la distance tant physique que psychologique entre le média et le sujet. A ces technologies, on peut ajouter les émulations sensorielles et autres combinaisons immersives qui participent à la réduction de cette distance.
Cette réduction drastique entre le média et le spectateur pose la question de la mesure d’une nouvelle distance : Celle entre la réalité et la fiction. Ne peut-on pas poser la question de la perception de ma réalité quand l’information reçue se superpose à cette réalité grâce à un média qui annule toute distance – critique – entre moi et le média ? Cette diminution de la distance entre le sujet et le média s’applique à divers outils de notre quotidien : le cinéma (système narratif archaïque et linéaire), les jeux (système narratif interactif), les actualités…
Le traitement et la diffusion des nouvelles des actualités journalistiques permettent d’aborder un autre aspect que le théoricien canadien ne pouvait pas anticiper : c’est l’explosion universelle de l’Internet. Conséquences de cet accès généralisé à la toile mondiale : en quelques années – on ne compte même pas en décennies – Internet est devenu un gigantesque champ de bruit. Il faut entendre par là que bien que tout soit accessible à tous, si on ne sait pas quoi chercher, on ne trouve rien. D’autant que la démocratisation de la diffusion de l’information – principalement avec l’émergence des blogs dans les années 2000 – cette même information à perdu toute notion de pondération : n’importe quelle information est aussi bien accessible et donc a autant de valeur qu’une autre, plus ou moins controversée, plus ou moins vérifiable. Il se pose donc la question de l’identité l’auteur de l’information, de la fiabilité du site émetteur… Ainsi, il apparaît une nouvelle nécessité : celle de l’apprentissage de l’utilisation d’Internet.
On peut enfin citer une dernière évolution invisible à des yeux au mitan du siècle précédent : c’est la convergence des technologies analogiques vers l’unique technologie informatique et numérique. Du temps de McLuhan, la télévision était tout juste hertzienne – le magnétoscope n’existait quasiment pas – et la radio diffusée en modulation d’amplitude, la presse était imprimée sur du papier végétal et le cinéma projeté dans des salles à partir de pellicules argentiques de plusieurs centaines de mètres… Aujourd’hui, tout est digital. Tout est dématérialisé : les textes, les sons, les images… Jusqu’à notre monnaie et même notre citoyenneté. Pour naviguer dans ces galaxies d’informations – le mot d’océan n’a plus force de comparaison tant la quantité d’information est gigantesque, sans jamais cesser de croître – il ne nous reste plus qu’à nous en remettre à nos ARI, nos Agents de Réseau Intelligents, ces petits programmes, ces sondes à la limite de l’intelligence artificielle, qui au travers de nos choix apprennent à mieux nous connaître, à mieux répondre à nos attentes et à nourrir nos centre d’intérêts. Ils plonge dans Internet à la recherche de ce nous intéressera. Ces informations qu’elles soient ludiques, encyclopédiques ou informatives, ils nous les classent, nous les présentent, nous les prémâchent. Il faut pourtant nuancer cette description attractive en précisant que tous les ARI ne se valent pas… La qualité et la pertinence ont un prix… Tout le monde ne peut pas se les payer…
Et, sans y prêter garde, la boucle s’est bouclée d’elle-même : Partant d’un système d’évaluation des médias linéaire, vieux de cent ans et fonctionnant par opposition, on en arrive à une version renouvelée et cyclique : à chaque extrémité de l’échelle, on peut ajouter de nouveaux médias, extrêmement chauds pour certains – Internet et son bruit – et, à l’opposé, extrêmement froids pour d’autres, on peut citer ici les jeux immersifs. Pourtant ces deux nouveaux extrêmes ont un point commun : c’est la technologie digital, c’est la dématérialisation, c’est la réduction de la distance entre le média et le sujet. Ainsi, aux extrêmes, les extrêmes se rejoignent ! Ne semble plus alors ne rester que les questions de l’expérience de la réalité et du choix de la fiction. À chacun de tenter d’y répondre…
© Olivier Parent – prospective.lecomptoir2.pro