Comment sommes-nous passés de « super calculateurs » aux compagnons mécaniques qui accompagnent notre quotidien, les robots ? Qu’a-t-il fallu apprendre aux machines, de quelles capacités a-t-il fallu les doter ?
Déjà, humain qui écrit, qui lit ces lignes, qui suis-je ? Puis-je dire « je » sans expérimenter le véhicule qui transporte ce « signal » existentialiste, mon corps ? Puis-je dire « je » sans expérimenter la dualité, l’autre, qu’il soit inerte ou vivant, singulier, « toi », ou pluriel, « vous » ? Puis-je dire « je » sans mesurer tout ce qui me constitue ; mes expériences de l’altérité, mes connaissances, mes passions, mes peurs, mes névroses… Puis-je dire « je » sans la peur de la détérioration moyens de communication, d’expérience de l’autre ; mes membres, mon corps, supports et moyens de mes sens ? D’ailleurs, pour expérimenter l’altérité ne faut-il que les cinq sens tels que nous les enseigne l’école ? La proprioception ou équilibrioception, l’électroception ou magnétoception, l’écholocation, la thermoception, toutes ces capacités, pour certaines inconnues de l’humain, pour d’autres, perçues plus ou moins consciemment par l’individu, ne participent-elles pas, à leur manière, dans l’expérience de l’altérité, à la complexe construction de la conscience qui fait que l’humain est humain ?
A l’heure où les robots et l’IA font désormais partie de notre quotidien, il n’est pas inutile de rappeler que, pour résoudre le problème de la conscience artificielle, il a fallut, à l’humanité, porter un nouveau regard sur sa propre ontologie, une ontologie biologique, organique et finie pour tenter de définir une nouvelle ontologie électronique, mécanique et potentiellement infinie.
Dès les origines de la robotique, les machines ont pu être dotées des sens tels qu’énumérés plus tôt. Certains ont mis plus ou moins de temps à être maîtrisés par les machines, ces potentiels « être artificiels ». Les premières générations de voitures autonomes avaient du mal à circuler en cas de pluie ou de neige. La vision du véhicule, que ce sens soit otique, radar ou laser, lui indiquait une multitude de petits obstacles. Il fallait à l’intelligence du véhicule la capacité de cheminer de la simple collecte de données (les informations reçues par ces capteurs), vers l’information (il y a x objets de la taille de quelques fractions de millimètres cubes dans la trajectoire suivi par le volume dont le calculateur a la responsabilité) jusqu’à la connaissance (ces obstacles ne représentent pas de danger sur la trajectoire du volume considéré : ce sont des goutes de pluie ou des flocons de neige)…
Par contre, on doit ajouter un paramètre à la situation observée, considérée : l’eau sur le sol, la neige si elle s’accumule, ça glisse ! Ce cheminement, de la donnée, en passant par l’information et la connaissance mène au noûs, la compréhension. C’est la capacité qu’à un être à traiter de manière appropriée une situation, un objet physique ou abstrait… Pouvait-on greffer dans les programmes, portés par les super calculateurs miniaturisés des temps modernes, ce processus longtemps considérée comme psychologique ? Une partie de la réponse vint des interprétations des bases de données au moyen du « deep learning », cette apprentissage qui permet à la machine de sortir un « vecteur » de tendance hors de la masse, cette capacité qui permet à une machine de peindre à la manière… de Van Gogh.
Il est inutile d’avoir fait de longues études pour constater qu’il n’y a guère de points communs entre un être humain et un organisme artificiel doté d’intelligence, si ce n’est l’anthropocentrisme qui pousse les humains à donner aux machines des formes proches d’eux-mêmes. Parmi les rares similitudes, on peut également citer la nécessaire différenciation entre le moi interne et l’altérité externe, peu importe que la perception de cet extérieur passe par des sens biologiques ou électroniques.
Cependant, afin de permettre à l’intelligence artificielle d’émerger vers la conscience, afin de faire sortir la machine de son état de super calculateur vers un état supérieur, celui d’être… Il fallait effectuer une autre « greffe », avant même celle de la compréhension du monde dans lequel la machine allait devoir évoluer. Cette greffe concerne un sens multimodale que l’on retrouve chez toutes les êtres vivants : la nociception, la perception des stimulus lésionnels ou potentiellement lésionnels. Ce sens, chez les êtres vivants, est associé à la douleur. Il fait appelle à des perceptions cutanées, d’autres somatiques, autour des membres et enfin, viscéraux. Transposés chez la machine, la nociception, au delà de la mesure de diverses résistances mécaniques, va impliquer la mesure, la pondération de la consommation énergétique. Et un effort excessif, consommateur d’une trop grande quantité d’énergie, devient « douloureux » pour la machine… qui peut prendre conscience de sa propre finitude…
Augmentez cette nociception du noûs, vous changez la place de la machine dans le monde et vous ouvrez les porte aux compagnons robotiques tels que nous les connaissons. Le principal fantasme contre lequel l’humanité aura eu à se battre est celui de la Singularité. Ce moment radical de l’éveil de la conscience artificielle. Rien ne ce sera passé comme l’avait souhaité Ray Kurzweil. Il n’y a pas eu un éveil mais un long apprentissage. Les machines apprennent encore, ne serait-ce dans leurs rapports aux êtres humains, en intégrant, avec le temps, la pondération de leur conscience artificielle duplicable, par rapport à celle organique, périssable. Reste à espérer que cette « évolution » se fasse à l’avantage de l’humanité…
Le plus remarquable dans ce cheminement qui a mené à la création des être artificiels est que cette même humanité a du se pencher sur la compréhension de son propre être. Que l’ontologie artificielle naisse de l’ontologie biologique, et l’humanité en sort grandie !
NB : Merci à Isaac Asimov et Alain Cardon, précurseurs et explorateurs de l’intelligence et de la conscience artificielle.
© Olivier Parent