Nouvelle contribution
d’Olivier Parent à
inCyber News,
le média de la confiance numérique
En 2027, le film Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol aura 30 ans. Malgré cette distance parfois fatale pour certaines œuvres de science-fiction, Bienvenue à Gattaca conserve tout son attrait — ne serait-ce qu’esthétique — et les sujets qu’il traite sont toujours d’actualité. On y parle de médecine, de génétique et d’eugénisme, de transhumanisme… et même d’urbanisme. Chacun de ces sujets appelant l’analyse prospective !
Un film au rythme des règles de l’art
Qu’il soit de science-fiction ou non, un film est toujours une réduction de la réalité. Même si le cinéma a eu tôt fait de s’affranchir des canons de la narration classique — unité d’action, de lieu et de temps —, il n’en reste pas moins que l’auteur doit s’adapter aux contraintes du média cinéma qui, lui aussi, à ses règles imposées, entre autres, par les « papes hollywoodiens ».
Ainsi, au moment de la sortie en salle du film, en 1997, les films n’avaient pas encore pris l’embonpoint désormais admis qui amène régulièrement leur durée à dépasser allègrement les trois heures, ceci étant vrai surtout pour les films fantastiques, de fantasy et autres œuvres de science-fiction. A cette époque, les scénarios étaient d’une narration beaucoup plus linéaires, quasi minimalistes en comparaison des multiples rebondissements des scénarios de notre deuxième décennie du XXIème siècle. Faites regarder Blade Runner à un ado. Il s’y ennuiera…
Le scénario de Bienvenue à Gattaca est dans la lignée de cette simplicité. Mais ce classicisme n’est que de façade. S’il ne semble n’être qu’une longue construction dramatique, le film porte en lui un tout autre drame : celui de la nature de l’humanité. À l’opposé de tentations idéologiques hégémoniques, le film est un ode à une humanité qui ne doit pas oublier qu’elle est plurielle.
Minimaliste, Bienvenue à Gattaca acquiert une part de sa liberté aussi grâce à son esthétisme : tout au long du film, on déambule dans une ville aux lignes tendues, une Brasilia universelle dans laquelle les codes de son architecte, Niemeyer, seraient devenus les standards architecturaux. Ils influencent jusque dans la mode vestimentaire. Et, dans un feulement « tout électrique », même la Citroën DS d’Uma Thurman se glisse, dans ce décor, avec subtilité, délice et modernité… On va le voir, ce décor est l’écrin qu’il fallait pour mettre en lumière l’idéologie d’une homogénéité dérangeante telle qu’elle est portée par Bienvenue à Gattaca.
Et si les modes de procréation participaient aux structures sociales ?
Dans l’avenir de Bienvenue à Gattaca, cette diversité semble bien mise à mal. En effet, la société dans laquelle se déroule l’intrigue semble être le résultat du rêve de nombre de techno-enthousiastes et autres Transhumanistes. Là, les protagonistes du film, Vincent, Eugène et Irène, sont membres d’une élite de l’humanité, fruits d’une politique de sélection génétique drastique, d’un eugénisme devenu standard social.
Toutes ces particularités font de Bienvenue à Gattaca un film d’anticipation de choix qui nous permet de plonger le regard dans un monde où la conception naturelle d’un enfant est synonyme pour lui de ségrégation sociale. La norme, cette politique eugénique est mise en œuvre par une police dotée de moyens technologiques — on est à mi-chemin de la série Les experts et d’un Brazil de Terry Gilliam — et législatifs dont les images de leur application rappellent celles de rafles telles que l’Europe en a connu au cours de la Seconde Guerre mondiale. L’esprit de 1984, le film de Michael Radford (adapté du roman éponyme de George Orwell), n’est pas loin non plus.
À la suite de cette introduction quelque peu sombre, il demeure un étonnement — positif — dont il ne faut pas se priver. Il concerne les diagnostics pré-implantatoires qui sont proposés aux familles qui désirent concevoir un enfant. Ainsi, ce qui ici est appelé « eugénisme généralisé » ne semble pas réservé à une élite financière. Apparemment, point de ploutocratie. Tant est si bien que, dans le film, pourvu qu’on ai des parents qui fassent les bons choix au bon moment, un individu peut espérer être doté d’un bagage génétique satisfaisant. C’est ainsi que doté d’un bagage génétique bien « tamisé » un individu se voit ouvrir les portes d’une élite construite sur des bases autres que celles que l’on connaît dans notre présent. Cependant, la science moderne nous l’apprend avec l’épigénétique : l’ADN ne fait pas tout, le génotype n’est pas le phénotype.
Ce constat permet de mieux comprendre la violence de la société du film qui, comme la nôtre, contemporaine, se nourrit aussi des inégalités. Si les disparités de statut ne semblent plus entretenues par la seule richesse, c’est l’identité génétique de chaque individu qui participe désormais à la classification sociale. Dans Bienvenue à Gattaca, on a pénétré dans une société de « méritocratie génétique » à moins qu’il ne faille qualifier cette société « d’eugénocratie », une aristocratie déterminée par la génétique. Le titre du film le dit à sa manière, le mot Gattaca étant composé des initiales des quatre bases chimiques sur lesquelles se construit l’ADN, la molécule, le code de la vie : guanine, adénine, thymine et cytosine.
Libertés individuelles contre raisons politiques
Dans les faits, le film raconte la lutte, le combat d’une volonté, celle de Vincent joué par Ethan Hawk, contre les aprioris d’un système très bien rodé. Car Vincent a un rêve : aller dans l’espace. Mais « génétiquement imparfait » parce que conçu naturellement, les portes de l’institution spatiale lui sont interdites.
Vincent finit par croiser le chemin, la vie brisée d’Eugène, un « parfait » handicapé. On peut noter que l’étymologie de ce prénom vient du grec eugenès, bien né, bonne ou noble race. Ensemble, ils vont alors développer des subterfuges pour permettre à Vincent de vivre son rêve : aller dans les étoiles, participer à l’aventure spatiale.
C’est ainsi que l’on part à la découverte de cette « nouvelle humanité » qui s’autorise la conception d’un polydactyle fonctionnel, un « mutant » à douze doigts pour que devenu pianiste, cet individu soit en capacité d’interpréter de manière géniale une partition qu’il est seul à pouvoir jouer. Ici, le mot mutant est écrit entre guillemets car, dans le monde de Gattaca, l’amélioration toute dérangeante qu’elle puisse nous paraître est devenue la norme. C’est le « non-sélectionné » qui est le monstre, celui qui doit se cacher, celui qui va de petits boulots en petit boulots jusqu’à ce que son identité génétique imparfaite ne le rattrape et lui ferme les portes d’une vie sociale sous le dictat de la normalité génétique. C’est aussi le quotidien de Vincent jusqu’à ce qu’il trouve l’énergie de construire son rêve avec les moyens d’Eugène.
Là, il faut désormais s’arrêter quelques instants sur le cas d’Eugène, l’ange déchu joué par Jude Law. Eugène, l’athlète accompli, la tête bien faite, à la beauté froide, fait partie de celles et ceux qui ont été élevés au statut de quasi divinité par la « qualité/pureté » de leur patrimoine génétique. Cependant, il se trouve rayé, éjecté de l’échiquier quand il est rattrapé par les contingences de la nature humaine : sa fragilité biologique. A la suite d’un suicide raté, il se trouve paraplégique.
Il n’est pas interdit de s’étonner que dans le futur de Bienvenue à Gattaca, la médecine n’ait pas appris à réparer ce genre d’accident. Dans notre réalité, les progrès ne manquent pas même si le chemin reste long pour en faire un soin courant.
La diversité aux risques des innovations ?
En tout cas dans le film, la maîtrise par l’humanité de son patrimoine génétique semble représenter une nouvelle étape de son évolution — innovation appelée des vœux de Transhumanistes — sans pour autant la libérer des fragilités, il en existe de toutes sortes. Et, conséquence de l’ivresse de cette maîtrise, il semblerait que l’humanité de Bienvenue à Gattaca ne supporte plus la vue de la fragilité, de la différence, de l’imperfection qu’est le handicap.
Cloué dans son fauteuil, Eugène vit un quotidien qui est devenu une insulte à sa nature programmée, voulue par la société. Son état fait de lui une injure à lui-même. Mais, donner corps — au sens propre aussi bien que figuré — au projet fou de Vincent lui offre une rémission, un but dans une vie devenu errance éthylique. Cependant, le départ vers les étoiles de l’insoumis Vincent signe l’arrêt d’envie de vivre de l’homme rejeté par la société qui lui a donné la vie.
Soumis au diktat eugénique de cette société sans partage, il se donne (enfin) la mort, bourreau et victime d’une mise en scène qui n’est pas sans rappeler les pires heures de l’histoire du XXe siècle quand les corps des « impurs », ceux des « imparfaits », des déviants et des agitateurs étaient effacés de l’histoire dans des fours crématoires de ceux qui c’étaient auto-proclamée les « purs », les « parfaits », les seuls dignes de vivre.
Le soulagement de voir Vincent atteindre le but de sa vie n’atténue en rien l’horreur d’une société devenue totalitaire par souci d’homogénéité. L’embrasement des réacteurs qui arrachent Vincent à notre Terre semble vouloir aussi sceller le sort de la différence, des non-purs, des handicapés. C’est ainsi que Bienvenue à Gattaca interroge le spectateur dans sa chère, dans le sens même, dans la signification de son humanité. D’ailleurs, avec Vincent, que va-t-elle chercher dans les étoiles ?
Le film se concentre sur l’entraînement de celles et ceux qui doivent partir, si bien que l’apport d’expérience de ceux qui sont revenus semble absent du film. En lançant vers l’espace des fusées à rythme très soutenu, n’est-ce pas plutôt une évacuation qui est organisée ? Sous couvert d’une conquête spatiale aux mains de cette élite génétique, n’est-ce pas une nouvelle humanité, débarrassée de « sa lie », qui se cherche une nouvelle terre ou s’implanter ? A ce propos, les Transhumanistes seraient-ils à bord de ces vaisseaux ou resteraient-ils sur Terre pour vivre l’humanité dans toute sa diversité ? Il serait intéressant de poser cette question à Elon Musk !
A retrouver sur inCyber News : « Bienvenue à Gattaca » ou l’eugénisme génétique érigé en politique d’État