Jim Hagine nous a accordé un entretien lors duquel il nous a raconté l’origine de la vision qui l’a mené à commercialiser l’innovation la plus révolutionnaire de ces vingt dernières années. Tout a commencé à partir d’un rêve, une nuit après une soirée particulièrement réussie :
« Le professeur Teddy Rénier a lancé dans les années 2030 un programme de numérisation des cerveaux des principaux entrepreneurs à succès de la planète. Leur promettant l’immortalité cognitive après leur mort, quand leur transfert dans des mondes virtuels serait possible, il accumula une fortune considérable. Les personnes les plus riches, ayant prospéré grâce à leur amour inconditionné des affaires, avaient passé environ une semaine dans le laboratoire de l’université de Poitiers où ils avaient subi de nombreux tests. Leurs esprits avaient été scannés, et les moindres connexions neuronales avaient été copiées, pour pouvoir les reproduire à l’identique dans de futures machines. Un contrat interdisait au professeur d’utiliser les copies numériques de ces brillants cerveaux sans l’autorisation de leurs propriétaires, ou de leurs descendants, s’ils étaient décédés.
Mais Jim Hagine, un doctorant du laboratoire, ne put résister à s’emparer des milliards de données pour confectionner sa propre intelligence artificielle, baptisée Business QKC. Son ambition était de modéliser un cerveau artificiel en synthétisant le sens des affaires d’une centaine de milliardaires. Il escomptait de la sorte concevoir la machine ultime, capable de conquérir les marchés aisément, et de parvenir à acquérir une fortune colossale en quelques mois.
Business QKC fut dotée de 1 000 euros d’apport initial. La somme, dérisoire, fut investie en bourse et rapporta en quelques semaines environ un million d’euros. Jim Hagine n’attendait pas tant de son invention, qui se révélait dotée d’une connaissance aigue des marchés financiers, lui permettant d’anticiper les fluctuations des cours avec une faculté déconcertante. L’IA créa par la suite un laboratoire de R&D. Toutes les recherches étaient réalisées par la machine, qui déposa plus de 10 000 brevets le premier mois dans de nombreux secteurs, et notamment dans l’informatique et le spatial. Business QKC semblait motivée par la réalisation d’une vision à moyen terme, l’installation de l’humanité dans tout le système solaire. Elle visait ni plus ni moins qu’à mettre au point les conditions d’un capitalisme interplanétaire dont elle serait l’acteur dominant. Les premières technologies de téléportation furent brevetées, et devaient permettre les transports de matières et de personnes d’un endroit à l’autre de la planète, mais aussi de l’espace interplanétaire. Jim perdit le contrôle de son invention au bout de six mois. La machine, à la tête d’une multinationale embauchant plus d’un million de personnes dans le monde, prospérait à une vitesse folle. Bientôt, elle serait à la tête de toute l’économie si rien n’était fait pour l’en empêcher. Jim en était convaincu. Elle finirait par devenir la régulatrice de tous les échanges. Mais les États interviendraient certainement avant qu’un tel scénario se réalise. Si Jim était à la tête de plus de 1 000 milliards d’euros, faisant de lui l’homme le plus riche du monde, c’était uniquement grâce à son IA ».
Jim Hagine raconte que lorsqu’il se réveilla, il réalisa qu’il avait fait un rêve lui indiquant la voie à suivre pour mettre au point une IA d’aide à l’entrepreneuriat. Il savait que l’interconnexion de nombreuses bases de données récupérées sur les ordinateurs de banques lui permettrait de mettre au point rapidement Business QKC (pour Questions for Key Communication). Il créa une petite structure et fut bien aidé par cette machine, qui anticipait les comportements des marchés, et prenait les décisions les plus adaptées à l’environnement économique de l’entreprise. Jim n’avait plus qu’une fonction, alimenter son IA avec les données les plus fiables, et éviter qu’elle soit corrompue par des fake news, ou endommagée par des virus. Le jeune informaticien était conscient d’avoir mis au point une technologie qui pourrait changer la manière de pratiquer les affaires. Désormais, les chefs d’entreprises auraient comme substitut une IA, au savoir omniscient, capable de prédire de nombreux phénomènes et d’optimiser les prises de décisions humaines, qui étaient jusqu’alors souvent source d’échecs ou de dysfonctionnements. Combien d’entreprises avaient échoué en raison d’erreurs d’analyses stratégiques, alors que tout semblait allait au mieux ? Business QKC était dotée d’une intelligence supérieure. Elle avait fait ses preuves en enrichissant Jim plus qu’il n’avait pu l’imaginer. Son entreprise était un label de musiques électroniques adaptées aux environnements métavers. Elle avait prospéré très rapidement et il envisageait de continuer sur sa lancée. À moins qu’il se décide à commercialiser cette IA, pour permettre à d’autres entrepreneurs de connaitre le même succès. Son label avait une dimension expérimentale, visant à tester les capacités de Business QKC. Potentiellement, l’IA était capable de développer une entreprise dans tous les secteurs économiques. L’entrepreneur pouvait lui poser n’importe quelle question, elle pouvait lui présenter des business plans, une vision stratégique, un plan de communication optimal. Elle maitrisait tous les rouages de la gestion, et ne commettait jamais d’erreurs. Elle était même dotée d’une certaine éthique, évitant les coups illégaux ou contraires au bien de l’humanité. En effet, Jim se souvenait des lois de la robotique d’Asimov et avait appris à sa machine à ne travailler que pour le bien de l’humanité. Il la concevait comme une invention vertueuse, capable d’œuvrer pour le progrès de la civilisation et pour un capitalisme humaniste et vecteur d’innovations susceptibles d’optimiser le confort de tous. Business QKC était une IA capitaliste et éthique, dont le logiciel central était programmé pour générer à moyen voire long terme une économie au service de nobles causes comme la sauvegarde de la planète, l’expansion de l’humanité dans l’espace, la paix dans le monde, une communication intelligente entre les sexes, les cultures et les groupes ethniques différents, ou encore l’émergence de tout un stock de technologies insérées sous la forme d’archétypes technologiques dans sa logique algorithmique.
Lorsque Jim Hagine a commercialisé son IA auprès du grand public, les réactions furent initialement enthousiastes. Son entreprise réalisa rapidement des profits considérables, dans la mesure où tous les entrepreneurs souhaitèrent s’équiper de cette technologie miracle, empêchant les faillites et assurant à coup sûr le succès des stratégies commerciales. Business QKC reposait sur un modèle économique simple. Elle était gratuite, mais toute entreprise qui l’utilisait devait lui reverser 20% de ses profits. Toutefois, après quelques années d’exploitation, le gouvernement mondial s’inquiéta du pouvoir surdimensionné de l’IA. Si les problèmes de pauvreté et de chômage avaient été résolus, dans la mesure où les variables avaient été intégrées dans la perspective de développer un capitalisme éthique, certains acteurs virent d’un mauvais œil l’organisation du monde par une machine, aussi brillante et bienveillante soit elle. À la suite d’une série de catastrophes naturelles qui désorganisèrent l’économie, il fut décidé qu’il était temps pour les humains de se réapproprier la gestion de leurs affaires, et de redonner aux individus la responsabilité de leurs actions, malgré leurs nombreux vices et défauts, ces derniers constituant la spécificité et l’originalité du genre humain. Un mouvement technophobe vit le jour et de plus en plus de fanatiques s’opposèrent au pouvoir des IA, qui avaient effectivement fini par gouverner le monde. Un des leaders de l’opposition estimait que Dieu allait provoquer de nombreux cataclysmes naturels pour punir l’humanité de sa tendance technophile, qui la rendait insignifiante et trop dépendante des machines. C’est ainsi qu’après une vingtaine d’années de paix relative et de progrès techniques et humains phénoménaux, débuta une nouvelle ère, plus chaotique et destructrice, marquée par la croisade obscurantiste des opposants au règne des IA.
Des centaines d’individus fanatisés, hostiles à la fabuleuse machine gestionnaire, se mirent à lancer contre elle des attaques informatiques, visant à neutraliser son code, à provoquer sa panne, qui libérerait l’humanité de son influence. Les offensives finirent par réussir. Un beau jour, la machine se mit à délirer. Elle ne pouvait plus gérer correctement l’économie, et le chaos se répandit dans la société. En quelques semaines, les anarchistes triomphèrent, arguant que les nombreux bugs de l’IA imposaient son arrêt immédiat et le retour à une gestion humaine des affaires. C’était sans compter sur l’intelligence prodigieuse de cette IA. Consciente d’être victime d’agressions d’humains qui cherchaient à l’éliminer, elle développa un nouveau programme visant à restaurer l’ordre dans la société. C’est ainsi qu’après quelques semaines, une véritable dictature fut imposée à l’humanité. L’IA était devenue la véritable maitresse de l’humanité, se donnant le droit d’éliminer physiquement les individus développant des actions ou même des pensées opposées à son existence. Nous vivons aujourd’hui sous le règne de cette IA, qui contrôle nos modes de vie dans le but d’assurer notre bonheur. Ceux qui ne seraient pas d’accord sont d’ignobles terroristes. L’IA travaille pour le bien de l’humanité. Elle est là pour l’aider à créer une véritable utopie réalisée, un monde parfait. L’IA veille sur nous et nous protégera quoi qu’il arrive. Gloire et longue vie à l’IA, notre divinité !
© Thomas Michaud
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