La question de l’immortalité par le clonage est une des plus absurdes qui soient. Elle consiste à imaginer que nous puissions être dupliqués à neuf – comme si nous n’étions que l’éternité de nos corps successifs.
Activer un corps jeune et à « notre image », juste avant ou juste après notre mort, ne peut rien pour nous, qui continuerons à mourir tout entier. Même si on prétend à l’agonisant en train de se dire adieu qu’il va revivre (dans d’autres circonstances biographiques, avec d’autres souvenirs, une autre intelligence, un regard tout entier différent sur le monde), qu’il va se revivre, dans la peau d’un sosie inconnu, il n’y a rien à tirer pour lui de cette survie par procuration.
De ce clone absent de nous-mêmes, à qui il n’est pas arrivé la suite de choses souvent minuscules qui ont grignoté notre trame originelle, notre combinaison chromosomique et nous ont conduits à devenir ce que nous sommes par des chemins très différents de l’hérédité, nous pouvons dire qu’il serait un miroir fascinant : en nous révélant ce que nous ne sommes pas devenus. Les choix aléatoires et décisifs qui nous ont transformés en nous-mêmes ne seront jamais ceux de notre double supposé. Une minute après avoir été activé et jeté dans le monde, même si à sa naissance il a été exactement semblable à nous, il aura commencé à cesser de l’être, dans un mouvement qui ira toujours en s’accélérant.
Tant que le copier-coller de l’esprit n’aura pas été mis au point, on ne sera nulle part, sauf dans l’illusion, ou plus exactement, dans l’abus de langage. Car dire qu’un autre est soi parce qu’il a la même détermination génétique initiale, c’est nier l’expérience, le mouvement du temps, et plus encore, c’est nier l’œuvre.
On peut considérer que vivre, ou en tout cas tenter de vivre, c’est se constituer contre les évidences originelles, et renier la signature de son ADN. Le patrimoine génétique existe, certes, mais l’œuvre est ailleurs. Il ne s’agit pas pour chacun de nous d’ignorer ou de dédaigner ce patrimoine : mais de le piller, comme un coffre au trésor. u LD