Ce que PASSAGER N°4, parlant de demain, nous dit d’aujourd’hui | Space’ibles Days 2024

Deux ou trois choses que « PASSAGER N°4 », le film de Joe Penna, nous dit de notre présent !

« Dis-moi quel film tu regardes, je te dirai quel avenir tu te prépares », parole de prospectiviste !

Avec :


https://www.youtube.com/watch?v=XKvBYj6Q_rg

Une production le Comptoir Prospectiviste / FuturHebdo
pour Space’ibles.fr

Les analyses prospectives des films sur le site de Space’ible,
l’observatoire de prospective spatiale du CNES


Réalisation : Joe Penna
Scénario : Joe Penna, Ryan Morrison
Acteurs principaux :
Anna Kendrick, Toni Collette, Shamier Anderson, Daniel Dae Kim
Production/Droits à l’image/Distribution : RainMaker Films, Augenschein Filmproduktion, MMC Movies, Phiphen Pictures, Rise Pictures, Stage 6 Films, XYZ Films et Netflix
Durée : 116 min.
Année : 2021


Chronique d’analyse prospectiviste conçue en collaboration avec Space’ibles, l’Observatoire Français de Prospective Spatiale, initiative du CNES.


Passager n°4 est un film de science-fiction spatiale qui date de 2021. Réalisé par Joe Penna, qui se distingue par une forme d’absence de ce qu’on pourrait appeler le grand spectacle de la SF. Dans ce film, il n’y a ni envolées intergalactiques, ni rencontres du troisième type, ni guerres inter-espèces. 

Le film suit une mission scientifique privée vers Mars, et décrit l’invraisemblable embarquement par erreur d’un quatrième passager, en plus de l’équipage nominal des trois astronautes. Ce passager clandestin malgré lui va venir compromettre les objectifs de la mission ainsi que la survie même de son équipage. Dans ce huis clos baigné de l’esthétique sombre d’un vaisseau spatial qui s’éloigne toujours plus de la Terre, les rigueurs et l’âpreté du voyage spatial vont durement et tragiquement éprouver les valeurs humaines des hommes et femmes de l’équipage. 

Par ailleurs, si on pouvait s’autoriser à classer les films de science-fiction selon une chronologie fictive, par son réalisme, Passager n°4 pourrait se situer entre des films tels que Apollo 13 de Ron Howard et Seul sur Mars de Ridley Scott. En effet, Passager n°4 fait partie de ces films avec lesquels on pourrait presque écrire l’histoire d’un avenir annoncé, en l’occurrence celle de l’exploration spatiale martienne avec ses incontournables : la mission, le voyage et le milieu spatial, le vaisseau de transport, les aléas et l’équipage, l’indispensable élément humain. 

Exploration spatiale privée 

Mais à bord d’un vaisseau dimensionné au plus serré — pour un voyage dont la durée se compte tout de même en mois —, avec des astronautes dont le recrutement a pu être quelque peu hasardeux — certains auraient pu être un peu plus en forme —, le contrôle de mission au sol se révèle impuissant quand apparaît l’incroyable oubli d’un ingénieur sol à bord. Ainsi, à l’exception notable de l’audace technologique de la mission, le panorama proposé pour cette exploration privée est somme toute plutôt critique. 

Technologies

Si la mission MTS-42 est dotée de quelques clins d’œil à des technologies aujourd’hui en gestation (on pense à la fabrication additive de prothèses in situ par exemple), c’est d’abord la configuration technique de la mission qui surprend. En effet, elle ne ressemble en rien aux projets des différentes agences spatiales ou des entreprises qui regardent en direction de Mars. 

Pour amener ses passagers sur la planète rouge, le vaisseau du film Passager n°4 mise sur une configuration pour le moins originale : imaginez la partie centrale de ce vaisseau comme un moyeu où sont installés divers équipements dont les panneaux solaires. Maintenant, imaginez deux paires de longs câbles attachés de part et d’autre de ce moyeu tournant sur lui-même. 

Au bout de chacun de ces câbles sont fixés deux éléments essentiels du vaisseau spatial : l’un est le MTS, une station orbitale qui est la base de vie dans laquelle les astronautes vont passer les cinq mois du voyage ; l’autre, à l’opposé, est le module martien KingFisher qui permettra à l’équipage de rejoindre le sol martien mais surtout de le quitter, à l’issue de la mission, pour revenir vers la Terre. Avez-vous la configuration en tête ? Au pire, imaginez deux pierres reliées par une ficelle tendue tournoyant autour d’un centre, une troisième pierre. 

Dans cette configuration, dont propulsion doit être des plus délicates à gérer, les trois parties du vaisseau, simplement reliées par câbles, sont alors isolées les unes des autres, sans possibilité de support mutuel. Mais alors, pourquoi l’entreprise Hyperion, qui a développé ce vaisseau, s’est-elle compliquée la tâche avec cette configuration à la dynamique complexe ?

Vivre à bord

Cette configuration, une fois maîtrisée, a l’énorme avantage de générer, à l’intérieur de la base de vie, une gravité artificielle utile au maintien de la condition physique et de bonne santé des astronautes, tout au long du voyage, sans la contrainte de construire un anneau gravitationnel complet. En effet, après un bien long voyage, l’équipage à son arrivée sur Mars, ne trouvera qu’une base vide, sûrement embryonnaire, établie par les missions qui l’auront précédée. 

Là, nos héros devront se trouver en meilleur état de forme que les femmes et les hommes d’aujourd’hui à leur retour de la station spatiale internationale. ces derniers doivent être assistés tant leurs corps ont été éprouvés par la vie en micropesanteur, l’ISS étant dépourvue de système de génération de gravité artificielle. 

Pour mémoire, pendant leur mission à la surface de la planète rouge, les astronautes de la mission MTS42 vivront avec une gravité équivalente à 38% de celle ressentie à la surface de la Terre. 

Le temps du voyage de la Terre vers Mars, pour maintenir à bord du vaisseau des conditions équivalentes, la physique nous dit qu’il suffit que les câbles au bout desquels se trouve la base vie soient longs de 85 mètres et que le vaisseau tourne sur lui-même à un rythme de deux tours par minute. On peut aussi augmenter cette longueur et ainsi réduire la vitesse de révolution, mais au risque d’une instabilité croissante. 

Par contre, si on réduit la longueur des câbles, on doit alors augmenter la vitesse de révolution au-delà de 2 tours par minute. Dans ce cas, l’Académie de médecine serait amenée à hausser le ton : cette vitesse entraînerait trop de contraintes sur les organismes (vertiges et nausées), à cause de composantes parasites d’accélération (forces de Coriolis). A cette vitesse, la coordination motrice serait rendue difficile, à cause de la trop grande différence de gravité entre le haut et le bas du corps.

Mais, admettons que les conditions de gravité dans le vaisseau aient été établies. L’arrivée à bon port et la bonne santé générale de nos astronautes ne sont pas pour autant assurées : le voyage vers la planète rouge doit durer dans le film cinq mois, comparables aux six mois, au plus court, de l’état de l’art actuel, lorsque les deux planètes sont correctement positionnées l’une par rapport à l’autre. Or, loin de la Terre, de son atmosphère et surtout de sa magnétosphère, les astronautes du film Passager n°4, ainsi que toutes les formes de vie qui les accompagnent, sont exposés aux radiations de l’Espace, des rayonnements en provenance de l’espace profond ou bien du Soleil. 

Si les premiers sont relativement constants, les seconds peuvent présenter des sursauts d’intensité en fonction de l’humeur du Soleil. Cette situation de tempête solaire est d’ailleurs bien gérée dans le film : le vaisseau est doté d’une pièce de confinement électromagnétique. Pour une protection quotidienne, on peut imaginer que ce même vaisseau soit construit en intégrant une protection efficace contre les radiations, habituellement assurée par une épaisseur adéquate des parois. Le film montre aussi que, comme dans l’ISS, les hublots sont obstrués quand on n’en a pas l’usage.

Contraintes et aléas de l’aventure martienne

Cependant, l’ordonnancement de ce petit univers clos et aux ressources limitées, prévu pour trois personnes à destination de Mars, va vite voler en éclats ! Comme l’indique le titre du film, un invité surprise va s’imposer à bord. Situation d’autant plus délicate qu’on apprend que le vaisseau a été conçu à l’origine pour deux passagers. En poussant un peu les meubles, Hyperion s’est autorisé a ajouter un troisième passager.

On le sait : Hollywood aime la loi de Murphy — « Tout ce qui est susceptible d’aller mal ira mal ». Ainsi, les destructions successives des moyens d’épuration de l’air puis des d’algues de la mission réquisitionnés pour la production d’oxygène, vont finir par priver l’équipage des ressources nécessaires, et engager le pronostic vital de la mission et de ses quatre passagers. Un peu plus tard, il n’y aura plus de l’oxygène que pour trois humains… puis pour deux seulement!

Même après une quarantaine de missions de la Terre vers Mars, la masse de bagages et de fret demeure contrainte pour MTS-42 : sur une telle distance — au plus court 55 millions de kilomètres, près du double en pratique compte tenu des contraintes de trajectoire — chaque kilo compte. L’équipage fait donc cet amer constat : à bord du MTS, il n’y a plus de réserves d’oxygène suffisantes ou de pièces de rechange adéquates. 

C’est cet état de fait qui crée toute la tension du film : l’apparition du quatrième passager met en lumière l’extrême précarité de l’aventure martienne. On est loin du fantasme spatial que certains pourraient entretenir autour de prochaines et éventuelles missions humaines à destination de la planète rouge. Isolé dans un fragile vaisseau, depuis lequel il contemple une Terre qui s’éloigne un peu plus chaque jour, loin de tout secours de la Terre, l’équipage ne pourra compter que sur ses propres forces et décisions pour affronter la crise.  

Reprenant le cours de l’histoire, la crise éclate une douzaine d’heures après que le vaisseau ait quitté l’orbite de la Terre. A la découverte du passager numéro 4, le temps que tout le monde reprenne ses esprits, que la loi de Murphy fasse son œuvre, que la base analyse la situation… il s’avère que la mission est dans l’incapacité technique de faire demi-tour. De quoi compliquer la situation de nos quatre astronautes.

Dans l’espace, il n’existe que deux solutions pour changer de trajectoire : soit on dépense de l’énergie, soit on se sert de la gravité d’un corps massif, comme une planète ou une grosse lune. Or, sur la route vers Mars, il n’y a rien, aucun corps céleste autour duquel le vaisseau aurait pu faire demi-tour pour revenir vers la Terre. Ceci semble plutôt logique : la Terre et Mars sont respectivement la troisième et la quatrième planète du Système solaire…

Quant à utiliser les propulseurs pour réaliser ce demi-tour, il ne faut pas se faire d’illusions. Comme pour le fret et les bagages, le carburant est compté. Il n’y a à bord du vaisseau que le minimum pour assurer la manœuvre de mise en orbite autour de Mars, sachant que le principal effort de ralentissement sera réalisé en utilisant la gravité martienne. Il en est de même pour l’atterrisseur : il n’embarque que ce dont il aura besoin pour faire atterrir son équipage sur Mars. Comme cela est actuellement prévu dans les futurs plans d’une éventuelle exploration de Mars, le Kingfisher fera sûrement le plein à la surface de la planète rouge, où des usines seront construites pour produire du carburant à partir de ressources martiennnes.

Voilà le décor dressé pour le drame humain qui va se dérouler sous nos yeux. Encore une fois, dans le film Passager n°4, pas de science-fiction de grand spectacle. Pas de tête-à-tête mortel entre humain et intelligence artificielle, comme dans d’autres films de science-fiction. Non, rien de tout cela. Juste le huis clos psychologique d’un équipage livré à lui-même, écartelé entre les objectifs de cette mission d’une vie, les menaces grandissantes pour sa survie individuelle et collective, et ses valeurs de rationalité, mais aussi de fraternité, de respect et protection de la vie humaine. 

« En cas de menace vitale, qui sacrifier pour le salut du groupe ? Le dernier arrivé ? Le moins compétent ? Le plus faible ou le plus fort ? ». Autant d’interrogations éthiques auxquelles il faudra tenter d’apporter une réponse pratique, la moins douloureuse possible.

Finalement, c’est la nécessité qui imposera sa loi : les plus compétents — ceux qui ont l’entraînement aux actions précises à mener dans une combinaison spatiale et l’expérience du vide et de la microgravité — devront se lancer dans une sortie extra-véhiculaire de haute volée pour aller chercher l’oxygène présent dans les réservoirs de l’atterrisseur, le Kingfisher. Il s’agira de « remonter » des câbles d’acier jusqu’au moyeu central, puis de « descendre » vers l’extrémité opposée en affrontant une gravité changeante tout au long du parcours. Et on recommence la voltige au retour !

De l’intrigue du film, je ne divulguerai rien de plus. J’ajouterai juste que, la loi de Murphy s’invitant à deux nouvelles reprises — la maladresse est humaine et, dans le film, rien n’annonce la tempête solaire —, il faudra consentir certains sacrifices. 

Qu’on le veuille ou non, et n’en déplaise aux promoteurs les plus enthousiastes d’une éventuelle colonisation de Mars par l’Humanité, cette aventure ne sera pas linéaire. Elle aura ses cahots, ses réussites grandioses, ses crises, ses échecs, ses figures de proue et probablement ses victimes. C’est ce que rappelle ce film qui se termine dans une nuée iridescente de vents solaires plus romantiques que réalistes.

Les premiers humains qui, un jour, partiront sur Mars seront sans doute un peu comme ces grands navigateurs de la fin du XVe siècle et du début du XVIe siècle : avec leurs équipages, ils partiront les soutes chargées à ras bord, pleins d’enthousiasmes, mais sans garantie ferme du retour. 

Alors, sommes-nous prêts au grand retour de cet imprévu à fort impact sur les affaires humaines, en un temps où le devoir de précaution a fini par s’imposer ?

8 nov. 2024