L’accumulation des connaissances fait de l’humanité un géant aux pieds d’argile | Nekomix #01 | 24/01/2069

 

Olivier a été invité par la rédaction de Nekomix (www.nekomix.com) à analyser les scénario des BD du numéro 10 du fanzine. Il en a résulté la production de 9 textes de journalisme prospectiviste, tous illustrés avec talents.

Ces textes essayent de traiter des questions et des njeux autour de la transmission de la connaissance à l’épreuve du temps long, de certaines étapes vers la conquête de l’espace et les voyages dans le système solaire, de la virtualité, des prothèses biomécaniques, l’usages que l’on pourrait faire des déchets que produisent l’humanité, l'(in)évitable concurrence entre humains et IA, notre rapport à la réalité au travers des outils que nous offre la technologie et le choc de la physique quantique…

Bon voyage dans ce premier texte et merci à l’illustratrice Amandine pour sa très belle illustration (lesamandinettes.com) !

 

24/01/2069 : Quand Diderot et d’Alembert se sont lancés dans la rédaction de leur encyclopédie, cela a marqué le moment à partir duquel un honnête homme n’a plus été capable d’embrasser l’ensemble de la connaissance de l’humanité. Le temps des humanistes finissait pour céder la place à celui des spécialistes.

Deux siècles plus tard, au début du deuxième millénaire, certaines théories pouvaient n’être compréhensibles que par une centaines de scientifiques, pendant que, tous les deux ans, l’humanité doublait la quantité de données informatiques qu’elle produisait, la consommation dépendait de technologies flirtant de plus en plus avec la physique quantique (une de ces théories incompréhensibles par le commun des mortels)… mais, surtout, l’humanité découvrait un des travers du monde digital : les données de l’humanité digitalisées ne sont pérennes qu’à la mesure de la robustesse du système informatique qui en assure la sauvegarde.

Aujourd’hui, l’humanité envisage de quitter son berceau, la planète Terre. Alors, la question de la transmission du savoir se pose de manière un peu plus insistante. ainsi, l’humanité disséminée dans le système solaire, et peut-être un jour au-delà, doit-elle ne dépendre que de bases de données informatiques ? Ne serait-il pas pertinent d’embarquer des supports plus solides, plus pérennes, plus robustes ?

A ce problème, il existe déjà une solution. Ce sont les « tables de la connaissance », ces disques imprimés, gravées sur de la pierre synthétique. Ces millions microfilms, conçus pour durer des millénaires, compilent l’ensemble des connaissance de l’humanité dans des bibliothèques-conservatoires répartis sur l’ensemble la planète. Et pas besoin de haute technologie pour lire ces disques : un microscope de qualité moyenne suffit, d’autant que le titre du disque est lisible à l’œil nu, ainsi que les premières instructions : fabriquer un microscope….

Pour que les futurs colonies humaines qui ont essaimé aux quatre coins de l’espace partent avec le plus grand nombre possible de connaissances, la taille de gravure va encore être réduite. Ces enregistrements constitueront des doubles des enregistrements numériques. Les voyageurs partiront avec des connaissances aussi bien scientifiques qu’historiques ou sociologiques, artistiques…

A l’heure de la dématérialisation accomplie, on peut se demander l’intérêt de faire voyager les colons vers Mars, les bagages chargés de ce poids supplémentaire. Il y a au moins trois avantages à cette démarche. Le premier est que vu la taille du système solaire, la notion de temps réel est abolie. Chaque colonie devient une bulle d’humanité autonome. Le deuxième est de ne pas conserver l’ensemble de la connaissance humaine sur la seule planète Terre. Une catastrophe majeure est toujours envisageable. Les tables de la connaissance, qu’elles soient réparties sur Terre ou dans l’espace permettront aux éventuels lointains descendants de l’humanité meurtrie d’hériter de tout ou partie des connaissances et des cultures des hommes de notre temps et de ceux qui nous ont précédé.

Le dernier avantage permet de dater, fixer cette connaissance. Les connaissances sont déportées vers les encyclopédies en ligne depuis presque un siècle. Or, on le sait : certaines connaissances, historiques, morales, philosophiques… continuent à évoluer dans le temps, au gré des découvertes, des recherches… c’est le propre de l’homme est de relire en permanence ce qui le constitue. Mais sous la plume des contributeurs bénévoles qui font exister ces encyclopédies en lignes, certains savoirs pourraient avoir tendance à suivre l’air du temps… faisant de la connaissance une valeur relative, soumise à la mode… les tables de la connaissance, comme les livres en leur temps agissent alors comme des marqueurs temporels, de l’historicité, pour éviter à l’humanité de vivre dans un présent permanent de bien-pensance…

Car, finalement, qu’est-ce que la connaissance sans la compréhension ?

 

 


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23 janv. 2019