Les ‘Jeepneys’ sont le mode de transport le plus populaire aux Philippines. Dans ces mini-bus bariolés, les passagers sont assis les uns en face des autres, sur deux long bancs qui peuvent accueillir dix, douze ou quinze personnes. A Tacloban, j’étais assise en face d’un homme de cinquante ou peut-être soixante-dix ans, impossible de le savoir. Il y avait dans ses yeux une tristesse infinie. Pendant longtemps, je me suis demandée ce qui lui était arrivé, à lui et à sa famille, ce terrible vendredi de Novembre, il y a presque deux ans lorsque la ville fut détruite par un typhon, parmi les plus violents jamais documentés.
Les réseaux mobiles furent instantanément détruits par le typhon et il devint tout de suite impossible de communiquer à travers la ville. Aucun des 200,000 habitants ne pouvait appeler au secours ou être contacté pour recevoir de l’aide, même quand celle-ci était disponible.
Les technologies mobiles relèvent quasiment de la magie: les petites machines dans nos poches nous permettent d’acheter un billet d’avion pour voyager au bout du monde, de commander un taxi et une pizza, et peut-être même de trouver l’âme soeur en tapotant sur la bonne app.
Quand il est réellement crucial de pouvoir communiquer, lors d’un désastre naturel par exemple, nous en sommes paradoxalement réduits à utiliser des technologies vieilles d’au moins trente ans. À la Nouvelle-Orléans, à New York, au Kashmir, à Tacloban et à Kathmandu, nous avons vu comment les tempêtes, les inondations et les tremblements de terre peuvent, avec une rapidité surprenante, détruire les réseaux de communication qui sont notre outil de survie dans l’urgence. Dans ces situations, il devient impossible d’envoyer même un simple SMS. Les seules alternatives aux réseaux télécom que sont les téléphones satellite et les radios amateur sont trop chères et compliquées de mise en œuvre pour être accessibles à tous.
Alors, si l’homme est capable de faire pousser ses propres légumes dans son jardin et de générer de l’électricité sur son toit, pourquoi ne pourrait-il pas créer son propre réseaux, avec son voisinage, quand il en a le plus besoin?
Les Philippines et Tahiti en Polynésie française sont parmi les premiers territoires à adopter une technologie pionnière dont l’objectif est de construire des ‘réseaux citoyens’ résistant au désastre. Ces pays ont adopté FireChat, une application de messagerie mobile gratuite qui fonctionne même lorsque les réseaux télécom sont hors d’état. Elle connecte les smartphones les uns aux autres au travers de connections Bluetooth et Wi-Fi ‘peer-to-peer’, créant ainsi un réseau local indépendant des infrastructures traditionnelles.
La portée initiale entre deux appareils est de soixante-dix mètres et augmente rapidement dès que d’autres appareils s’ajoutent au réseau. Les messages transitent entre les différents utilisateurs pour arriver à leur destinataire final. Chaque appareil agit en effet comme un ‘facteur aveugle’ qui route les messages sans les voir puisqu’ils sont chiffrés et visibles seulement par leur émetteur et récepteur.
Ces réseaux peuvent être utilisés au quotidien pour communiquer gratuitement mais également en cas d’urgence quand tous les autres réseaux sont congestionnés ou détruits. A l’échelle d’une grande ville, il suffirait que 5% des habitants utilisent une technologie de ce type pour créer un reseau capable de délivrer des messages d’un bout à l’autre de la ville en moins de vingt minutes.
Les systèmes de communication décentralisés peuvent rendre les individus plus capables d’affronter l’urgence. La vie est fragile face aux forces violentes et primitives que sont la pluie, la mer, le vent et l’activité sismique. Chacun d’entre nous veut cependant être en mesure de pouvoir agir dans l’adversité. Nous voulons tous être capables de nous protéger nous-mêmes, d’aider notre famille, nos amis et nos voisins dans ces situations. FireChat fût déjà mis à contribution au Kashmir indien pour relayer en temps réel des alertes et plans d’evacuation lors de violentes inondations au printemps dernier.
Les Philippines et Tahiti sont tous deux des nations composées d’îles, et ce n’est pas une coïncidence qu’il soit parmi les premiers à adopter cette forme de communication révolutionnaire. Ces pays regardent l’avenir avec objectivité et en réalisent la cruauté. Ils ont peu contribué à l’émission de gaz à effet de serre mais paieront le changement climatique au prix fort avec des typhons et des ouragans plus fréquents et de plus en plus violents. De ce point de vue, ces pays vivent déjà dans le futur : une météo instable et un besoin pressant d’utiliser toutes les technologies possibles pour accroître le degré de préparation de populations entières aux situations de crise.
Ces deux pays sont déjà en train de mettre ce principe en pratique. Ils sont les précurseurs d’un mouvement planétaire qui pourrait, demain, faire de ces technologies de communication décentralisés un nouveau standard.