Seuil du Futur #04 | Réseau mental | Luc Dellisse

On n’a pas toujours besoin que les techniques existent pour en éprouver les effets. Être relié par des ondes invisibles à ses contacts, ses images, ses messages, ses sources, ses relais, n’a rien d’une nouveauté. Il n’a pas fallu attendre que nous soyons équipés de lunettes-écrans ou de capteurs textuels pour être en réseau.  Être raccordé à volonté au flux scintillant de l’activité humaine est une expérience aussi ancienne que la science et la poésie.

Les instruments et les pouvoirs évoluent, mais le principe demeure :  une immense mer d’informations, de récits et de vues, bouillonnant à portée de la main, mais inefficace et inutile tant que nous ne l’avons pas reliée à l’ensemble de ce que nous avons lu, vu, vécu, nous-mêmes ; et la nécessité de trouver, de trier, d’organiser et de fixer ce qui va devenir notre pensée personnelle – sinon rien n’a lieu.

Demain, les antennes ADN dont nous serons munis ne feront rien d’autre que de cristalliser en permanence autour de nous toutes les présences du monde, comme la mémoire et l’imagination le font déjà quand nous sommes en état d’éveil.

Instantanée, mobile et permanente est la réalité virtuelle de l’esprit.

Du plus loin que je me rappelle, je me suis toujours considéré comme interconnecté. Je n’appelais pas ce dispositif interconnexion, bien sûr, le mot n’existait quasi pas. Je l’appelais mémoire en relation. C’était, tout simplement, l’usage individuel et autonome de la richesse collective, ma propre réflexion puisant dans le flot sans fin du savoir planétaire : il fallait se débrouiller avec l’infini.

Autour de moi, c’est toujours en moi. Comme pour chacun de nous. J’ai voulu simplement en resserrer les effets, et disposer librement, partout où j’allais, de cet univers comprimé.

Je veux dire que quand je partais en voyage, par exemple, ou quand je m’installais dans un café ou dans un jardin, je n’emportais aucun livre, aucune note. Je préférais puiser en libre-accès dans ma mémoire, comme dans un secteur parmi d’autres de l’imaginaire à ma disposition. Je n’avais pas besoin de citations précises, juste de leur pointe. Je ne recourais pas au verbatim, mais à son analogon : la référence la plus proche possible, combinée à l’émotion initiale qu’elle m’avait donnée.

Le point de vue mouvant que je cherchais finissait par se fixer sur un souvenir explicite. L’accès aux données suivait aussitôt.

La modernité existe depuis très longtemps.

 

 

28 mai 2018