Une série de 13 chroniques sur la médecine du futur.
A suivre tous les vendredis.
2080
Tel un Deus ex machina
Les Transhumanistes expliquaient depuis longtemps qu’il n’y avait aucune raison de considérer la mort comme une fatalité, que la mort, ce n’était après tout qu’une pathologie comme les autres, que si on savait prolonger la vie des cellules, changer ou réparer les organes défaillants, consolider le squelette, régénérer le cerveau, il n’y avait aucune raison de ne pas pouvoir vivre deux cents ans, voire plus, en bonne santé. Et pourquoi ne pas vivre encore plus longtemps, indéfiniment ?
De nombreux transhumanistes pensaient qu’un jour, l’homme pourrait vivre éternellement. Oui, bien sûr, personne ne voulait mourir, mais l’immortalité avait-elle un sens ? Et l’éternité en avait-elle ? Il faudrait bien qu’advienne un jour la fin de l’homme ! Ce ne serait pas la première extinction des espèces que connaîtrait la planète.
En 2050, on en n’était pas encore là, mais tout de même, peu à peu, avec sa filiale Calico et les milliards de données collectées par 23andMe, Alphabet avait porté l’espérance de vie moyenne à 100 ans permettant même à certains de dépasser 120 ans.
Les nouvelles technologies prolongeaient la vie de quelques décennies, mais ces techniques restaient encore limitées, le corps biologique était un obstacle majeur car la matière vivante finissait de toute façon par mourir, il fallait trouver une autre solution pour prolonger la vie indéfiniment, et la seule solution c’était de se débarrasser de cette enveloppe charnelle. Déjà, dans les années 2010, quelques savants fous avaient imaginé ce futur :
« Aujourd’hui, pour un humain, lorsque le matériel fait défaut, le logiciel – son esprit – disparaît avec lui. Mais bientôt nous deviendrons du logiciel et le matériel sera remplaçable »[1].
Toujours Ray Kurzweil et son obsession : transférer un jour l’esprit de l’homme sur un ordinateur. Même s’il était considéré comme le roi du délire par une grande partie de la communauté scientifique, Kurzweil n’en était pas moins un brillant chercheur visionnaire. Pour s’en convaincre, il suffisait de lire un extrait de sa biographie sur « lesinrock.com » :
« … récompensé en 1999 par la médaille nationale de l’innovation et de la technologie, la plus haute récompense scientifique aux États-Unis, …. présenté par Bill Gates[2] comme « la meilleure personne pour prévoir le futur de l’intelligence artificielle » et par le magazine Forbes comme « l’ultime machine à penser »
Transporter l’esprit humain sur une machine, simuler la conscience, la plupart des gens se disaient que Kurzweil était en plein délire. Mais les délires de génies peuvent parfois devenir réalité.
Déjà, Replika, cette petite société créée en 2015 par une jeune Américaine et dont l’objet était de proposer aux gens un « ami virtuel » avait remporté de larges succès, démontrant par sa technologie qu’il était possible de créer un double virtuel de quelqu’un, à condition de disposer de suffisamment de données sur cette personne, ce qui n’était pas un problème à l’heure des échanges électroniques à tout va.
Dans les premières années, les performances du double virtuel restaient assez limitées par la technologie, mais vers la fin du siècle, les ordinateurs quantiques permettaient absolument tout, la plus petite puce était mille fois, cent mille fois plus puissante que les plus grosses machines du début du siècle, tout devenait possible.
En 2035, Alphabet avait acheté Replika pour étendre son offre à la production de répliques virtuelles de personnes décédées, puis de véritables robots ressemblant à s’y méprendre au mort. Le marché était immense, les gens avaient mis tant d’espoir dans la vie éternelle qu’ils en oubliaient qu’il fallait mourir un jour. Avoir sa propre réplique, même sous forme de robot, c’était un peu se survivre.
Réveiller les morts, c’était bien, mais il fallait aussi faire en sorte que les vivants ne meurent pas. Enfin, pas tout à fait. Pendant longtemps, l’idée de simuler la personnalité de quelqu’un dans toutes les situations paraissait inaccessible, car, pour que ce soit parfait, il aurait fallu que la personne enregistre sa vie, ses pensées, ses actions, à chaque instant. Absurde disait-on, et on avait raison, bien sûr. Sauf que vers la fin du siècle, les rêves fous d’Elon Musk, créateur de Neuralink, avaient pris forme : il devenait possible de greffer une puce sur un cerveau. Personne n’aurait pensé que ce serait possible un jour, mais c’était sans compter sur le développement des ordinateurs biologiques et des techniques quantiques. A partir de 2060, on voyait apparaître une nouvelle classe d’individus aux capacités cognitives augmentées. Tout en conservant leur enveloppe biologique, ceux qu’on appelait les « Cyborgs » commençaient à raisonner avec ces puces, créant ainsi des doubles d’eux-mêmes, accomplissant le rêve fou de Ray Kurzweil.
Il ne faudrait pas plus de quelques années pour voir les Cyborgs se transformer en robot après la mort biologique de leur enveloppe charnelle. Après tout, ces savants avaient peut-être raison ; l’immortalité, ne serait-ce pas justement la capacité de l’Intelligence artificielle à remplacer le cerveau ?
Les Transhumanistes disaient qu’ils allaient tuer la mort, mais pour tuer la mort, n’allait-on pas tuer la vie ?
[1] Propos de Raymond Kurtzweil extraits de son livre « Singularity is near (Viking Press) », https://www.lesinrocks.com/2016/04/10/actualite/portrait-de-ray-kurzweil-lhomme-voulait-faire-revivre-papa-11818548/
[2] Fondateur de Microsoft.
Textes extraits et adaptés par Jean-Pierre Galand du livre du même auteur
« Cette délicieuse odeur de pain grillé, 2084, cauchemar technologique ? »
Actuellement disponible sur Ulule
https://fr.ulule.com/une-delicieuse-odeur-de-pain-grille
CALENDRIER
1 | INJECTION | 22 mai 2024 – l’IA contre le cancer | 6/09/2020 |
2 | DISRUPTION |
Septembre 2026 – de l’ADN et du prédictif au rabais |
11/09/2020 |
3 | CONNEXION |
Novembre 2029 – lorsque l’on préfère assurer les gens en bonne santé |
18/09/2020 |
4 | OBSESSION |
22 mai 2032 – la Sécu recommande le port d’un bracelet connecté |
25/09/2020 |
5 | CONGESTION |
2035 – La pré-consultation médicale en ligne devient incontournable |
2/10/2020 |
6 | VIOLATION |
21 juin 2037 : le génome, objet commercial ? |
9/10/2020 |
7 | REGENERATION |
2040 – pour 80 000 $, le droit à vivre un peu plus encore |
16/10/2020 |
8 | OBLIGATION |
2040 – lorsque l’analyse ADN sera incontournable |
23/10/2024 |
9 | SELECTION |
2048 – du préventif à l’eugénisme |
30/10/2020 |
10 | AMELIORATION |
2050 – le « droit au bonheur » |
6/11/2020 |
11 | AUGMENTATION |
2060 * mille fois plus intelligent |
13/11/2020 |
12 | DESTRUCTION |
2080 – tel un Deus ex machina |
20/11/2020 |
13 | HOLD-UP |
2020 – un mauvais rêve ? |
27/11/2020 |