Orazio Maria Valastro
Un cœur imprescriptible
Journal d’un déserteur
L’Harmattan
2024
Orazio Maria Valastro a décidé de déserter. C’était dans les années 80 du siècle dernier. Avant que le service miliaire ne soit aboli en Italie. Martin Guevara Duarte a écrit la préface intelligente, convaincante et indispensable de cet autobiographique Cœur imprescriptible.
La Sicile est le point de départ et le point d’arrivée du récit étonnant de ce sociologue rebelle, chercheur indépendant, intrépide, facétieux, téméraire. Valastro a fondé et dirige depuis 2002 M@gm@, revue internationale en sciences humaines et sociales. Il dirige à Catane les Ateliers de l’imaginaire autobiographique Les Étoiles dans ma poche.
Sa thèse de doctorat en sociologie soutenue en avril 2011 à l’Université de Montpellier III a obtenu la mention « Très Honorable » à l’unanimité́. Son titre dit tout de son regard sur le monde et sur lui-même: Biographie et mythobiographie de soi : l’imaginaire de la souffrance dans l’écriture autobiographique. C’est une thèse dense et profonde avec un fil conducteur : la mythanalyse, qui s’intéresse à la manière dont les mythes, les récits symboliques, et les archétypes influencent les pratiques sociales, les comportements et les structures de la société contemporaine. Elle a été développée par des penseurs tels que Gilbert Durand, Michel Maffesoli, Hervé Fisher, Luc Dellisse et d’autres. Nous en parlons lors de nos séjours à Catane.
C’est là qu’il accueille avec générosité, inventivité et énergie une cohorte d’auteurs, d’artistes, de penseurs qui se penchent sur eux-mêmes et leur propre histoire.
Un cœur imprescriptible , publié en Italie en 2022 , vient de sortir en France.
Écrit « presque d’un seul souffle » ce récit nous fait partager l’étonnante application pratique, volontaire et sans concession de l’exercice théorique universitaire de l’auteur. La lecture en miroir de ces deux textes est fascinante.
Valastro a vécu dans la douleur ses choix éthiques. En rébellion radicale contre l’inhumanité absolue qu’incarnait pour lui le système miliaire, il a choisi de bifurquer. De prendre une autre route. De déserter.
Il évoque d’entrée sa passion d’enfant pour Pinocchio qui entame son voyage en tant que simple marionnette de bois, mais aspire à devenir un véritable être humain. Devenir humain ne pouvait être pour Valastro d’accepter le contrat social léonin et pervers que la société prétendait lui imposer : rejoindre le collectif « chair à canon et tueur à gages » imposé à sa classe d’âge à l’époque pour être initié au grand collège des « moutons civilisés ». Il avait perçu l’imposture de cette pseudo-initiation que les pouvoirs en place prétendent instaurer en dogme. Il a payé cher cette protestation. La littérature l’a sauvé.
Il y a dans le texte du Valastro déserteur – Un cœur imprescriptible – du roman noir et de la poésie amoureuse, du défi kafkaïen et du récit héroïque. Il en émerge une structure puissante, surplombante, celle-là même que le Valastro sociologue analyse avec finesse et lucidité dans sa thèse – Biographie et mythobiographie de soi : l’imaginaire de la souffrance dans l’écriture autobiographique – la rencontre entre un obstacle insurmontable et une force irrésistible. Comment dans cette impossibilité logique parvenir à se trouver soi-même ? Comme la rébellion permet-elle d’être vivant et la littérature d’être pensant? La rédaction de son autobiographie est pour Valastro un acte fondateur, libérateur, cathartique. Valastro réitère et actualise un arc narratif mythique : il s’agit pour lui de combattre la violence institutionnelle des pouvoirs pervers en s’armant de la ruse et de la résilience des hommes intègres. Pour vaincre l’homme doit devenir homme… ce qui n’est pas une mince affaire !
Pinocchio revisite le thème de la création à partir d’une matière inanimée. Comme Pygmalion sculptant Galatée. Aphrodite transforma la statue d’ivoire en une femme aimante et sensuelle : vivante. La création de Gepetto fait aussi penser à la désobéissance ingénieuse , créatrice de contes et légendes d’Anansi, le dieu-araignée de la mythologie ouest-africaine qui symbolise l’idée que l’intelligence et la ruse peuvent surmonter la force brute. Les récits de l’émergence de l’individu en rébellion abondent. Ils ne lassent jamais. Leur répétition serait-elle essentielle à l’accomplissement de l’histoire humaine ? Orazio opère une relecture du voyage du héros – de Gilgamesh, roi d’Uruk qui acquiert dans sa quête une sagesse profonde à la recherche de la liberté par la connaissance et l’accomplissement personnel à Prométhée, symbole de l’individu qui se dresse contre l’autorité pour le bien commun. Quelle magnifique clin d’œil que d’y introniser Pinocchio et par une facétie cruelle du destin de faire partie de cette mythologie improbable… parce que, après tout, pourquoi Orazio s’est-il embarqué dans cette histoire immortelle? Quelle énergie interne lui a enjoint, sans négociation possible avec lui-même, de se révolter contre l’Ogre, le Système, l’Empire – toutes ces métaphores réduites pour Orazio à ces caricatures militaires obnubilées par leurs dogmes, dont les décrets écrasent toute résistance ?
Comment Orazio se sort-il de la malédiction de Sisyphe poussant son rocher ou de Joseph K. poursuivi par son incompréhensible Procès ?
Une réponse émerge, étonnante, subversive, stimulante… la seule allégeance légitime est celle d’une liberté solitaire ouverte à une solidarité ontologique. C’est la littérature, l’écriture, l’autobiographie, la mythographie, qui font triompher les héros intègres. Leurs histoires sauvent le monde.
Prix spécial du jury de la XIIIe édition du Prix international Navarro pour ses qualités créatives et son engagement dans la valorisation de la culture sicilienne au sociologue Orazio Maria Valastro, président de Thrinakìa – Prix international pour les écrits autobiographiques, biographiques et poétiques, dédié à la Sicile, et auteur du livre autobiographique « Un cœur imprescriptible : journal d’un déserteur ».
XIII Premio Internazionale Navarro 2021/2022
Sala Convegni della Banca Sicana
Sambuca di Sicilia (AG) Italy
02/07/2022 – Foto di Franco Lo Vecchio